Posts Tagged ‘Politique’

Présence d’Obama sur le web : un parcours quasi sans faute

Mai 9, 2008

Note : Cet article est paru d’abord le 15 avril sur le blogue de Michelle Blanc qui m’avait accueilli gracieusement parmi ses collaborateurs en attendant que je me décide à plonger.

J’aurais aimé être à Londres cette semaine pour assister à Politics : Web 2.0 à la session donnée par Micah Sifry, co-fondateur du blogue TechPresident.com, histoire de compléter mon tour d’horizon et de vérifier si on dresse le même constat. J’en aurais sûrement appris encore un peu plus même si je suis déjà estomaqué par l’ampleur des réalisations sur Internet du camp Obama.

Peu importe que Barack Obama perde ou non en Pensylvanie mardi prochain ou même à la convention démocrate au mois d’août (on se demande bien comment les Clinton pourraient réussir un truc pareil avec l’avance qu’aura vraisemblablement maintenue Obama malgré tout dans les dernières primaires), sa campagne a si bien conjugué l’impact d’Internet en réseautage des troupes et leur autonomie sur le terrain qu’il a d’ores et déjà transformé complètement le paysage politique américain. Les média d’affaires en font d’ailleurs déjà un modèle à suivre.

Les organisateurs d’Obama ont d’abord tout fait pour ne pas attirer l’attention sur leur stratégie de mobilisation sur Internet. Ils voulaient poursuivre sur la lancée des succès d’Howard Dean, du moins en financement, mais sans être associés à son échec contre John Kerry en 2004. Lorsque les fonds collectés ont commencé à grimper à l’automne et surtout franchi des sommets jamais vus en janvier, tout le monde a compris qu’il y avait anguille sous roche. Les blogues spécialisés et les magazines d’affaires les plus en vue ont interrogé les experts d’Obama qui, obligés d’expliquer leur succès, ont accepté de lever le voile sur leur stratégie web.

Sachant qu’il était pratiquement impossible, même pour John McCain, de répliquer la même machine et de la contrecarrer d’ici les élections de novembre, ils se sont prêtés de bonne grâce à l’exercice et n’ont pas été avares de leurs réponses. Obama lui-même s’est laissé aller, lors d’une petite réunion, à expliquer les mérites du web dans la victoire en Idaho notamment lors du super mardi.

Si McCain gagne en novembre, c’est qu’il aura mieux manœuvré avec les média de masse dont la télévision demeure tout de même encore la source la plus importante pour rejoindre l’ensemble de la population. Sur Internet, le média prédominant pour atteindre les jeunes en bas de 30 ans, Obama aura dominé de loin de telle sorte qu’il aura pu profiter de cet avantage pour se donner les moyens d’égaler et même de déclasser ses adversaires en publicité payée dans les autres média.

Les fonds collectés ont atteint 32 millions $ en janvier, un précédent dans l’histoire des élections américaines. L’exploit aura été d’y parvenir en étant le candidat le moins privilégié au départ par l’establishment du parti démocrate et ses bailleurs de fonds les plus importants. 90% du montant total provenant de 275 000 dons de 100 $ et moins, certains ont vu dans ces résultats une bonne illustration du phénomène de la longue traîne popularisée par Chris Anderson dans Wired.

Après avoir vu la barre monter à 40 millions $ en mars, des partisans d’Obama, enhardis par leur succès, ont décidé d’organiser une collecte de 1 milion en 1 minute le 21 avril à 13 heures. Pour réaliser ce coup théâtral, ils ont d’ailleurs recouru à un logiciel québécois, CakeMail, choisi pour sa facilité d’utilisation et sa flexibilité.

L’ampleur du succès a certainement étonné l’organisation même d’Obama qui songe maintenant à conserver sa méthode de financement populaire au lieu de faire appel aux fonds publics pour les élections présidentielles, comme l’ont fait tous les candidats des deux grands partis depuis la réforme de la loi au milieu des années 1970 dans la foulée du scandale Watergate. En acceptant les fonds publics d’environ 85 millions $, il devrait retourner les fonds en trop déjà collectés.

Cette histoire est montée en épingle maintenant par McCain qui semble peu embarrassé de passer pour l’underdog en réclamant que la règle en vigueur soit respectée. C’est rien de moins que le monde à l’envers quand le parti de la haute finance mord la poussière à ce point face aux goussets des plus humbles.

La campagne d’Obama a donné des résultats tout aussi spectaculaires sur MySpace où, au dernier décompte établi par CNN, ses 161 000 amis déclassent les 43 000 de Clinton et les 21 000 de McCain. Sur Facebook, son groupe le plus important réunit 320 000 membres alors que celui de Clinton en a seulement 5 300. Il est vrai que les organisateurs de la sénatrice ont eu peur de cette plate-forme où l’enthousiasme des partisans d’Obama a donné lieu à des débats enflammés dès le début de la campagne.

Ces manifestations constituent la partie visible de la présence d’Obama sur le web. Les outils internes qui la supportent font penser à Bill Ives, un spécialiste de la gestion du savoir dans les entreprises, que la stratégie Internet du camp Obama recoupe celle qu’on préconise généralement avec le concept de l’Entreprise 2.0.

Cette orientation, apprend-t-on dans un reportage magistral de Rolling Stone, résulte du souci des organisateurs d’éviter que les succès en financement restent sans suite sur le terrain comme cela s’était produit pour Dean en 2004. On a voulu reproduire chez les militants le sens de l’organisation auquel s’est initié Obama en devenant travailleur communautaire à Chicago en 1985.

Lors des premières assemblées tenues un peu partout aux Etats-Unis au début de 2007, les participants obtenaient leur ticket d’entrée contre leur adresse électronique, leur code postal et leur numéro de téléphone. On a ensuite invité à Chicago les 7 000 plus motivés d’entre eux à participer à leurs frais au Camp Obama où ils ont été formés notamment par Mike Kruglik, celui-là même qui avait pris en charge le jeune Obama.

Pour soutenir leur enthousiasme et celui de tous ceux qui voulaient s’impliquer sans avoir assisté au camp, on s’est munis à l’interne des outils utiles pour stimuler la participation d’un maximum de partisans. Afin de suivre le flot des échanges, le logiciel de gestion des relations clients RightNow a été implanté dès le début.

Un outil développé avec RightNow, baptisé Invite Barack System, permet de gérer plus facilement le flot des invitations que reçoit le candidat pour participer à des événements. Un autre constitue une foire aux questions dynamique qui compile les réponses les plus populaires.

Cette fonctionnalité répond au principe de base de l’organisation voulant que les initiatives doivent monter du bas vers le haut. Répondant à une croyance profonde d’Obama à l’effet que les gens sont plus efficaces quand ils sont autonomes et qu’on leur fait confiance, ce principe a aussi l’avantage de coïncider avec la mentalité privilégiée par les réseaux sociaux.

Pour faciliter leur campagne de terrain, les militants de Californie ont par ailleurs mis en place pour leur part le logiciel de collaboration Central Desktop qui a été repris par l’organisation centrale au profit des primaires suivantes comme celle du Texas. Ils en ont tiré, entre autres, un outil pour les directeurs de bureau de scrutin qui y retrouvent toutes les opérations à mener pour accomplir leur tâche dans les règles de l’art, y compris les numéros de téléphone des militants de leur district pour les seconder au besoin.

« Comme Central Desktop garde une trace des actions et des intrants des gens qui participent, la campagne d’Obama dispose de données web analytiques pour faire ressortir les mots clés les plus populaires, les questions les plus souvent posées, etc., dans chaque région afin de mieux comprendre les sujets qui touchent les gens au niveau local. Cela permet de mieux cibler la publicité et procure une source supplémentaire pour identifier les préoccupations importantes des électeurs, » observe M. Ives.

Simon Rosenberg, président du groupe de réflexion NDN, a affirmé pour sa part à Rolling Stone : « Ils ont marié une communauté virtuelle d’une puissance incroyable avec les opérations concrètes de l’action politique sur le terrain. Nous n’avons jamais vu rien de semblable auparavant dans l’histoire politique américaine. »

Une autre initiative majeure a été la mise en place du réseau social interne MyBarackObama.com avec l’aide de l’un des cofondateurs de Facebook, Chris Hugues. Affectueusement rebaptisé MyBo par les militants, cette plateforme privée en accueille plus d’un demi million répartis dans 8 000 groupes d’affinités regroupés par état, par profession ou simplement par goût comme les Soul Music Lovers for Obama.

Parmi les à-côtés, les partisans d’Obama ont appliqué à la lettre une règle du Web 2.0 voulant qu’on sorte de sa coquille pour travailler avec d’autres groupes. Des groupes de militants se sont organisés sur meetup.com et le réseau social MoveOn.org, mis sur pied à l’origine pour s’opposer à la tentative de destitution de Bill Clinton comme président, a pris partie ironiquement pour Obama. Attirés par un trafic important sur MyBo en provenance d’une même direction, les organisateurs ont établi un lien avec son point de départ, le réseau social de la communauté noire blackplanet.com où les amis de Barack Obama sont maintenant un demi million.

Dans son article dans TechPresident.com sur la supériorité en tous points d’Obama sur le web, Sifry assène le coup final en mentionnant qu’Obama compte plusieurs blogueurs émérites dans ses rangs : Danah Boyd, Larry Lessig, David Weinberger, Dave Winer, Ross Mayfield de Socialtext et Michael Arrington de TechCrunch parmi ceux dont il se souvient. Il ne connaît qu’un seul blogueur respecté, Jeff Jarvis, qui ait pris partie pour Hillary.

Dans un article de BusinessWeek déclarant Obama le gagnant indubitable sur Internet, on souligne qu’Obama a sollicité à partir de son compte LinkedIn peu avant le super mardi les avis des dirigeants de PME à propos des meilleures initiatives qu’il pourrait prendre en leur faveur en tant que président. Il reçut environ 1 500 réponses en une semaine.

Pour les mêmes raisons et d’autres, le magazine Fast Company écrit dans son dossier du mois d’avril, The Brand Called Obama, « que la promotion de la marque Obama constitue une étude de cas exemplaire de la direction prise par le marché américain et potentiellement par le marché global également. Son ouverture face à la façon dont les consommateurs communiquent entre eux aujourd’hui, sa reconnaissance de leur attrait pour des « produits » authentiques et sa compréhension de la nécessité de projeter une nouvelle image globale sont tous des signes encourageants pour les professionnels du marketing partout dans le monde. »

Rishad Tobaccowala, chef de la direction de l’innovation chez Publicis, affirme dans une entrevue au magazine Fortune qu’il se sert dèjà du cas Obama avec ses clients. Il leur demande de penser à Hillary comme le leader du marché avec le nom le plus connu alors qu’Obama est le nouveau joueur avec à peu près pas de notoriété au début. Il leur rappelle leurs approches différentes, contrôle centralisé vs autonomie du terrain, et leurs traitements différents des média. Invités à situer leur entreprise par rapport aux deux stratégies employées, la plupart admettent qu’elle suit davantage le modèle d’Hillary, ce qui les amène à réfléchir sérieusement sur leurs chances de succès dans un environnement comme le web où les consommateurs mènent le bal désormais.

En guise d’épilogue, je vous réfère à deux vidéo en spécifiant que certains ont vanté la stratégie du camp Clinton sur ce plan à partir de l’annonce par Hillary de sa candidature lors d’une apparition vidéo sur Internet et de son concours pour trouver la chanson de la campagne, promu par une parodie des Sopranos où Bill figurait, qui a connu beaucoup de succès. Produit par le rappeur will.i.am du groupe The Black Eyed Peas avec des vedettes connues des jeunes, le premier a été endossé par le camp Obama, sûrement trop heureux de dénicher une initiative spontanée à son goût pour l’opposer à celle d’Obama Girl. Le second a de toute évidence été conçu par les organisateurs de Clinton et interprété par des comédiens professionnels qui n’ont pas l’air d’y croire.