Posts Tagged ‘Gestion du savoir’

L’entreprise 2.0 capte l’attention de Québec Inc

Mai 16, 2008

Première partie

Un autre cap de franchi. Le Québec a atteint cette semaine une nouvelle étape dans la sensibilisation aux technologies web 2.0. À sa quatrième édition bi-annuelle, la conférence webcom Montréal 2008 a été un franc succès qui a obligé les organisateurs à faire manger les participants dans deux salles différentes. Un énorme changement par rapport à la première édition de l’automne 2006 où les consultants dans le domaine constituaient le gros des participants.

Cette année, leurs clients potentiels se sont montrés en grand nombre pour la première fois. On peut même parier que l’édition de l’automne 2008 sera forcée de déménager dans des lieux plus spacieux que ceux de l’OACI où s’est déroulé jusqu’ici le webcom. C’est dommage en un sens parce que la place est probablement la plus confortable à Montréal pour assister à une telle conférence. Sauf pour les fumeurs, dont je fais encore partie malheureusement, qui doivent se taper des contrôles aussi sévères que dans un aéroport (organisation internationale oblige) à chaque fois qu’ils vont en griller une à l’extérieur.

Les participants ont eu droit à un rattrapage intensif qui a porté principalement sur les bénéfices que les entreprises peuvent tirer des réseaux sociaux dans leur fonctionnement interne. Le premier invité de prestige était d’ailleurs Andrew McAfee, ce professeur à la Harvard Business School qui a été le premier à employer l’expression «Enterprise 2.0».

Technologies qui livrent la marchandise

La plupart des conférenciers ont souligné que les technologies Web 2.0 permettent de réaliser enfin la révolution managériale maintes fois promise par les technologies précédentes. Leur principal impact, ont-ils tous entonné en chœur, sera l’aplatissement de la pyramide hiérarchique qui résultera d’une meilleure circulation de l’information et de l’augmentation du savoir collectif.

McAfee avoua toutefois d’entrée de jeu être resté sceptique au début relativement aux vertus du Web 2.0 en milieu de travail. Il s’est d’abord dit qu’une des notions centrales de l’approche, celle privilégiant les rapports de collaboration les plus égalitaires possible entre les participants, ne pouvait pas fonctionner à l’intérieur des entreprises où la ligne de commandement descendante (top-down) prévaut encore dans 99% des cas.

Quand il a entendu parler pour la première fois de Wikipedia, il a pensé que cette plate-forme relevait de l’utopie en espérant qu’un consensus pouvait se dégager de l’écriture et de l’édition collective quand des sujets controversés viennent sur le tapis. C’est après avoir constaté qu’une entrée aussi sujette à interprétations diverses que le terme Skinhead avait été maîtrisée avec succès et donnait du mot une description honnête et très fouillée, qu’il a eu son épiphanie.

Au lieu d’assister à l’anarchie et au chaos total dans leurs échanges internes, comme le craignent tous les dirigeants effrayés d’offrir autant de liberté à leurs employés, les entreprises qui ont amorcé une démarche Entreprise 2.0 ont été forcées de constater, note M. McAfee, que leurs salariés adoptent au contraire un comportement responsable et s’entraident spontanément sans s’enfarger dans leur description de tâches. Ces comportements sont tout particulièrement le propre des travailleurs du savoir dont la productivité est nettement améliorée avec l’introduction des outils Web 2.0. Les échanges informels, qui caractérisent l’essentiel de leur activité, s’en trouvent considérablement simplifiés. Au lieu, notamment, de répondre dix fois à la même queston par courriel, ils dirigent leurs interlocuteurs vers le billet de leur blogue qui l’a déjà abordée.

Les relations professionnelles informelles peuvent être fortes, faibles et potentielles. McAfee relie à chaque catégorie une technologie appropriée. Pour les relations fortes avec son équipe de travail et les différents services avec lesquels on doit rester en contact étroit, le meilleur outil de collaboration est un éditeur wiki, un logiciel pensé en fonction de réaliser une œuvre collective. Pour entretenir les relations plus faibles, comme les gens rencontrés lors d’une conférence par exemple, les réseaux sociaux comme LinkedIn, Twitter et même Facebook sont très utiles. Pour rejoindre les gens à la périphérie de son aire d’influence, les blogues sont tout à fait indiqués.

Adhérant au concept d’intelligence collective tel qu’illustré notamment par James Surowiecki dans son livre «Wisdom of crowds», McAfee prévoit que les entreprises vont adopter dans la même foulée des outils de prédiction fonctionnant sur le même principe que le Hollywood Stock Exchange. Alimenté par l’aggrégation des estimations individuelles des amateurs de cinéma qui accordent une valeur monétaire à un film à sa sortie, ce site fournit à l’avance des prévisions qui se sont révélées assez exactes par rapport aux résultats réels du «box office» après coup. La même technique, pense M. McAfee, pourrait s’appliquer aux prévisions financières si on permettait à tous les vendeurs d’inscrire facilement et régulièrement l’estimation de leurs performances à venir.

Persuadé que l’approche nous réserve encore plus de surprises qu’elle nous a fait découvrir de nouveautés jusqu’ici, M. McAfee évalue que les entreprises vont s’engager dans des chantiers Web 2.0 au cours des dix prochaines années.

Nouveaux employés = nouveaux modèles sociaux

Deuxième grosse pointure du Web 2.0 venue de l’extérieur à s’exprimer à la conférence, le français Fred Cavazza a approuvé en quelque sorte en rappelant que la saveur du jour est passée de Second Life l’an passé à Twitter cette année. « La roue tourne. Il y a eu l’avant et l’après Facebook. C’est impossible de réfléchir à une stratégie à long terme. La barre est toujours plus haute. Nous en sommes encore au stade où il faut expérimenter », a-t-il lancé en ne rassurant pas grand monde.

Après la musique sociale avec MySpace, la vidéo sociale avec YouTube, les liens sociaux avec Facebook, la quatrième vague que les entreprises vont devoir considérer est celle des jeux sociaux, croit M. Cavazza. Pour mobiliser plus efficacement les jeunes en bas de vingt ans, leurs prochains employés, les entreprises n’auront d’autre choix que de leur fournir des outils de communication aussi puissants que ceux auxquels ils sont déjà habitués.

M. Cavazza voit toutes ces plate-formes converger vers une seule plate-forme virtuelle personnelle qui intégrera toutes leurs fonctionnalités. Il en surgira inévitablement, à son avis, de nouveaux modèles sociaux.

Il retient deux conclusions de ce qu’il a vu jusqu’ici :

  1. Le contenu est devenu une commodité. Il faut trouver autre chose.
  2. Tout est gratuit.

À partir de là, il faut trouver d’autres moyens pour apporter de la valeur. Sans recette à portée de la main, il n’en rappelle pas moins là-dessus un dicton de son coin de pays : « Le soleil brille pour tout le monde. À toi de louer des parasols.»

« Il n’y aura pas de retour en arrière », a-t-il aussi prédit.

Doubler sinon tripler la mémoire interne

Première grosse pointure locale à s’exprimer en même temps que M. Cavazza dans un atelier parallèle, Claude Malaison, également directeur de la programmation de l’événement (avec qui j’ai parlé longuement par la suite en étant toujours incapable d’être à deux endroits en même temps), s’est employé pour sa part à traiter surtout de l’impact des technologies Web 2.0 sur l’amélioration notable de la mémoire interne des organisations. Une dimension cruciale et très concrète qui risque de sourire aux entreprises aux prises avec les pertes énormes d’expérience qu’elles subissent maintenant avec le départ graduel à la retraite des babyboomers.

« Mais si seulement elles savaient tout ce qu’elles savent » affirme M. Malaison, rappelant le cas aberrant de la Nasa qui envoyait à la filière 13 les contenus des filières de ses chercheurs qui partaient à la retraite. L’agence a ainsi perdu les enregistrements de l’alunissage d’Apollo 11 et, bien pire encore, les dossiers de conception de Saturne V, ce qui lui vaut de refaire en bonne partie deux fois les mêmes travaux dans le développement actuel de son nouveau lanceur.

M. Malaison voit dix étapes dans la mise en place des technologies pertinentes. Voici l’écran où il les énumérait.

Les dix marches pour optimiser la mémoire de l\'entreprise selon Claude Malaison

En expliquant, il s’arrête un peu plus longtemps à la septième étape où l’on parle de récupérer le savoir des gens partis à la retraite. Il s’agit de les inviter à des échanges point-à-point (peer-to-peer) en extranet où ils feront part de leur expérience aux employés toujours en place. Ils seront d’autant plus motivés à participer qu’on leur offrira une rétribution pour leur contribution à la résolution parfois plus rapide des problèmes du seul fait de leur intervention.

M. Malaison se dit convaincu que plusieurs entreprises obtiendraient un retour sur investissement rapide avec cette innovation très peu chère à mettre en place. Tout en reconnaissant que la panoplie complète des capteurs de mémoire va intéresser plus volontiers dans un premier temps les grandes entreprises, il voit très bien l’intérêt des PME à s’emparer d’un tel outil sans tarder. Dessins Drummond  lui apparaît un bon exemple de PME engagée dans la bonne direction sur le plan (très mauvais jeu de mot) des outils web 2.0.

Afin de souligner leurs avantages pour les grandes entrepries, M. Malaison utilise l’exemple d’IBM où l’on est peu susceptible d’avoir lésiné sur les technologies de collaboration et de gestion des connaissances avant leur adoption massive toute récente. Si ces technologies y sont autant utilisées, c’est sûrement parce qu’elles comblent un besoin que les systèmes précédents remplissaient mal.

S’appuyant sur un article du Wall Street Journal du 18 juin 2007, M. Malaison a fait resssortir qu’IBM possédait à ce moment-là 27 000 blogues internes et 20 000 wikis fréquentés par 100 000 de ses employés. Son réseau social interne, BluePages, recensait 475 000 profils et 700 communautés. L’entreprise opérait aussi 50 îles dans SecondLife pour des séances d’orientation et de formation avec ses clients. Dans le troisième atelier parallèle, la consultante Sophie Beauchemin d’IBM (dont j’ai obtenu la présentation par courriel) a fourni des chiffres encore plus à jour. Bluepages contient maintenant 579,988 profils d’employés et accueille 1 800 communautés alors que les blogueurs internes ont presque doublé pour atteindre 47 772.

Quant au débat opposant les technologies à code source ouvert et celles qui sont propriétaires comme Lotus Connections d’IBM. une trousse qui intègre tous les outils Web 2.0, M. Malaison croit qu’il devient secondaire si les deuxièmes sont plus rapides à implanter en étant conformes aux façons de faire jusque là. Le plus important, c’est l’impact au niveau social et non pas la technologie qui le provoque.

Vous en savez assez pour aujourd’hui. Je reviendrai demain ou lundi au plus tard pour vous entretenir un peu plus du message de Mme Beauchemin, mais également de celui de sa collègue Kathryn Everest qui a pris la parole après Pierre-Karl Péladeau, l’invité de prestige du milieu de la journée. Je donnerai un aperçu des ateliers de l’après-midi donnés par Jon Husband (autre grosse pointure du Web 2.0 venant de l’extérieur, puisqu’il réside à Vancouver, qui apporte un éclairage très original au phénomène et qui m’était encore inconnu jusqu’ici, dois-je avouer à ma plus grande honte). Vincent Berthelot et Bertrand Duperrin, qui ont livré pour leur part des études de cas à la RATP et chez Dassault en France.

Pour ceux et celles qui veulent prolonger le plaisir en attendant, mon amie Michelle Blanc a commis un billet de lendemain de veille où elle nous amène dans les coulisses. Isabelle Lopez a signifié live sur le blogue de la conférence  sa déception face à la performance offerte par McAfee et son admiration pour les propos tenus par Fred Cavazza. Comme quoi il ne suffit pas d’être pape dans la blogosphère pour que tout le monde sans exception se prosterne. Bravo Isabelle.

P.S.: L’infatigable Fred Cavazza a eu le temps de faire du tourisme, donner sa conférence, enregistrer des vidéos avec ses confrères et faire un résumé succinct de presque toutes les conférences et ateliers qui ont retenu son attention. On y trouve le point de vue d’un expert sur les experts.