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La blogosphère immobilière américaine affronte la tourmente en rangs serrés

Mai 24, 2008

Aux prises avec la pire crise qu’ils auront connue dans leur carrière, les courtiers et agents américains d”immobilier résidentiel les plus actifs sur Internet s’estiment heureux la plupart du temps de disposer, pour mieux l’affronter, d’une panoplie d’outils web 2.0 qui n’existaient pas il y a seulement quatre ans. En tenant compte de la taille du marché américain qui permet de lancer plus facilement des projets ambitieux, on peut malgré tout déceler parmi ces innovations les tendances qui seront transposées à notre décor dans un proche avenir.

Ça bouge énormément du côté des sites de recherche où tous (agents et propriétaires en vente directe) peuvent inscrire gratuitement leurs maisons à vendre. Zillow domine dans le domaine avec des compétiteurs directs comme Trulia ou indirects comme craigslist et Google Base. Cette visibilité accrue plait aux agents même s’ils doivent la partager avec les propriétaires qui ont choisi de se passer de leurs services.

Avant l’apparition de ces sites, les agents voulant faire connaître leurs propriétés à vendre pouvaient les inscrire sur les services MLS (Multiple Listing Service), mis en place par la National Association of Realtors (NRA) aux États-Unis et l’Association canadienne de l’immeuble (AIC) ici. Ces systèmes ont toutefois le grave défaut aux États-Unis d’être accessibles uniquement par les membres de la NRA et par territoires découpés de façon très aléatoire. On en compte 80 en tout. Le plus gros d’entre eux est situé à Washington et dessert également la plus grande partie du Maryland et des parcelles de la Virginie, de la Virginie de l’Ouest et de la Pennsylvanie.

La situation est différente au Canada où l’ACI a aggrégé en une seule base de données les listes fournies par ses agents à travers tout le Canada et choisi d’en rendre l’accès public. Cela n’a pas empêché toutefois des étudiants de l’Université de Sherbrooke de mettre sur pied un service équivalent pour le Québec qui se veut plus complet en recensant, comme les sites américains, toutes les maisons à vendre. Des répertoires régionaux comptent également tirer leur épingle du jeu en jouant la carte plus locale encore.

Plates-formes d’entraide et de collaboration

La principale transformation du secteur aux États-Unis est intervenue cependant avec l’utilisation massive des technologies web 2.0 par les agents qui y ont vu un bon moyen de se distinguer des services de vente directe par les propriétaires. Si on inscrit les mots clés «real estate blog» dans Technorati, le moteur de recherche de blogues, on obtient plus de 100 000 liens. En cherchant tous les billets identifiés avec l’étiquette (Tag) «real estate», on obtient plus de 230 000 liens. La fonction «recherche de blogues» dans Google, soumise aux mêmes mots clés, mène à plus de 380 000 liens.

Il est impossible de savoir combien de ces liens appartiennent à des blogues d’agents immobiliers spécifiquement. Le climat économique fait en sorte que beaucoup de monde s’intéresse au sujet présentement.

La prolifération des blogues d’agents, doit-on noter cependant, a été favorisée par le lancement de trois plate-formes de blogues dédiées principalement à leur usage. Loin de vouloir introduire un nouveau modèle d’afffaires dans le secteur, ces réseaux tentent au contraire de renforcer ses structures existantes en fournissant aux agents de meilleurs moyens d’accomplir leur tâche.

ActiveRain Real Estate Network est le champion à battre avec ses 88 842 membres en date d’aujourd’hui, environ 5 000 de plus qu’il y a environ un mois lorsque j’ai commencé cette recherche. Plus de la moitié de ces personnes sont des agents et le reste est partagé en plus de 25 catégories d’activités connexes : des prêteurs hypothécaires, des conseillers en mise en valeur du produit (home staging), des notaires, etc. Ils appartiennent d’office à leur regroupement régional (par états et par provinces) et peuvent s’inscrire dans des groupes d’intérêt mis sur pied par d’autres membres.

Ce ne sont pas tous des blogueurs actifs. Beaucoup se contentent de remplir un profil.

La liste des blogues les plus fréquentés sur ActiveRain indique d’ailleurs que plusieurs proviennent des membres qui ont des services à vendre aux autres. On y retrouve au sommet plusieurs consultants qui discourent abondamment au sujet des mille et un trucs pour mieux profiter des blogues et des autres technologies Web 2.0 en immobilier résidentiel. Le sixième blogue le plus populaire sur ActiveRain est d’ailleurs animé par un artiste montréalais, Marti Garaughty, qui y promeut ses talents en design de pages web.

La deuxième plate-forme en importance. RealTown, suit de près ActiveRain avec ses 76,315 membres. Elle accueille aussi 5 300 blogues, publie un wiki sur l’immobilier résidentiel avec l’apport des membres et comporte une fonction recherche de maison à vendre pour attirer les acheteurs. Zolve se veut pour sa part un lieu virtuel permettant aux professionnels de l’immobilier de repérer plus facilement leurs interlocuteurs les plus valables sur un marché extérieur qui leur est peu familier. Les 5 291 membres de cette plate-forme, alimentée par les références des clients et des confrères, sont pour l’instant concentrés aux États-Unis et au Canada malgré les ambitions de couverture mondiale affichées par son prometeur.

Rumeurs et potins à l’appui

Le fondateur d’ActiveRain, Jonathan Washburn, a publié récemment sur son blogue un index des 100 blogues les plus populaires du secteur en faisant la moyenne de leur trafic selon Alexa et Compete. Cette liste regroupe exclusivement les blogues opérés de façon autonome puisque la fréquentation des blogues hébergés sur des plates-formes comme WordPress et Typepad, tout comme ActiveRain et RealTown, échappe aux engins de calcul qui fournissent les résultats d’ensemble des plate-formes uniquement.

Cette liste est fort utile pour constater la diversité des blogues du secteur.

La première place du classement est occupée par Curbed, un blogue qui couvre l’actualité immobilière de New York et de tous ses à-cotés comme la vie de ses quartiers (les ouvertures et fermetures de bars et restaurants s’y retrouvant en bonne position) au rythme d’une douzaine de billets par jour. Il a comme particularité d’être alimenté essentiellement par les courriels de ses lecteurs qui fournissent l’information à la base de la plupart des billets.

Curbed contient donc aussi bien des informations factuelles faciles à vérifier que des potins et des rumeurs qui peuvent se révéler sans fondement (les éditeurs du blogue avertissant même ses lecteurs que ses contenus sont sujets à caution). Comme les rumeurs sont importantes en immobilier résidentiel, le blogue joue son rôle pleinement dans son secteur tout en fournissant aux curieux des sujets de conversation parfois juteux. D’où sa popularité. On imagine que les éditeurs écartent tous les sujets qui prêtent à litige ou controverse inutile dans leur domaine.

Fondé seulement en mai 2004, Curbed a fait des petits à San Francisco et Los Angeles. Le réseau comprend aussi des éditions locales de Eater et Racked, des blogues rendant compte de la scène gastronomique et du magasinage (shopping pour les Français) dans ces trois villes.

On retrouve aussi aux premières places de façon très normale des regroupements de blogueurs (l’avantage étant de pouvoir rafraîchir beaucoup plus souvent le blogue à plusieurs) qui abordent une thématique spécialisée ou couvrent exclusivement un territoire précis. Parmi ce type de blogues, on compte :

1. BloodhoundBlog, un blogue initié à Phoenix en Arizona dont les collaborateurs de partout aux États-Unis en font une des premières sources, tous média confondus, d’information immobilière;
2. Geekestate, lancé à l’initiative de Zillow, est le fruit des contributions d’une dizaine de spécialistes des technologies et de leurs applications dans le secteur;
3. Agent Genius regroupe près d’une trentaine de collaborateurs de très haut calibre qui publient des contenus d’intérêt pour la profession;
4. RainCity Guide , un blogue produit par 13 agents de Seattle qui suit de près la scène locale sous tous ses angles.
5. BiggerPockets, le blogue de la communauté des agents affiliés à BiggerPockets auquel contribuent une dizaine de ses membres.

Les alarmistes ont la cote

La transparence érigée en vertue chez les blogueurs en général nous vaut dans le secteur de l’immobilier de retrouver des blogues consacrés uniquement à la crise actuelle. Ces blogues, tels que The Housing Bubble, Housing Doom, Blown Mortgage et HousingBubbleCasualty, figurent en très bonne position au classement bien que leur lecture assidue doit donner froid dans le dos.

Pendant que certains blogueurs se demandent assez anxieusement si les États-Unis vont mettre autant de temps à se remettre de la crise actuelle que les Japonais en ont eu besoin (dix ans) pour sortir de leur crise financière du début des années 1990, d’autres se font une spécialité d’aider les propriétaires en difficulté à manoeuvrer pour minimiser les dégâts. Le blogue d’Inman News, deuxième au classement des plus fréquentés, a poussé l’analyse en profondeur jusqu’à installer sur YouTube un vidéo d’une heure et vingt (vous êtes averti) intitulé « How We Got Into this Mortgage Mess and How We Get Out. » Il s’agit de l’enregistrement d’une table-ronde au Club Princeton de New York à laquelle ont participé le 23 avril dernier trois grosses pointures de la scène économique : Peter Orszag, directeur du bureau du budget au Congrès américain, Zanny Minton Beddoes, éditrice des pages économiques à The Economist et Allan Blinder, professeur d’économie et d’affaires publiques à l’Université Princeton.

Sans doute inspiré par la popularité des blogues jouant les Cassandres, le même blogue nous informait hier de la production d’une émission de téléréalité sur la vie d’un agent spécialisé dans l’achat et la revente des maisons saisies par les prêteurs. Un billet précédent rapportait l’existence de tours guidés en autobus, remplis d’acheteurs potentiels flairant les aubaines, des quartiers les plus affectés par les saisies.

Promoteur de la conférence Real Estate Connnect San Francisco 2008, du 23 au 25 juillet prochains, Inman News n’échappe pas elle-même à la tendance voulant que tout revers économique comporte son lot d’opportunités («It rains, sell umbrellas»). Un atelier y est consacré aux contingences propres aux reprises de maisons. Les agents les plus débrouillards n’auront pas à attendre jusque là et trouveront toute l’information désirée sur le blogue d’International Listings, organisation spécialisée en annonces classées de biens de luxe à l’échelle internationale, qui recense. au profit de ses riches lecteurs, les 100 meilleures sources Internet d’information sur les reprises de maison. On y trouve des liens vers des tutoriels, des encans, des sites d’information spécialisés et une quinzaine de blogues dédiés uniquement aux reprises de maisons.

La question à savoir si la technologie peut aider dans les circonstances à adoucir de façon marquante les conséquences de la crise a été posée par le blogueur Spencer Rascoff qui y répond par la négative. La crise du marché hypothécaire s’étant transformée en une crise financière sévère, les blogueurs et les réseaux sociaux sont quasiment impuissants à ses yeux à en minimiser les maux.

Toujours selon son avis, il en aurait été autrement par contre si le secteur avait disposé des mêmes outils au début de la formation de la bulle immobilière. Appuyé sur ce point par Don Tapscott, il croit que la transparence accrue de l’information aurait fait ressortir dès le début au grand jour la spirale catastrophique de telle sorte qu’on aurait pu l’enrayer avant qu’il ne soit trop tard.

Je suis loin d’endosser un tel point de vue qui prête aux réseaux sociaux des mérites qu’ils n’ont pas à mon avis. Ça me fait penser à la thèse de Peter Schwartz dans The Long Boom, publié en 1999, qui attribuait aux technologies la capacité de faire coïncider au plus près l’offre et la demande et de couper court ainsi aux cycles économiques prononcés. Source d’influence accrue certainement, les blogues ne changent pas fondamentalement pour autant leurs auteurs qui demeurent toujours incapables de faire des miracles. Qu’en pensez-vous ?