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Le Web 2.0 parvient à maturité au milieu du chaos

Mai 9, 2008

Note : Cet article est paru d’abord le 28 avril sur le blogue de Michelle Blanc qui m’avait gracieusement accueilli parmi ses collaborateurs en attendant que je me décide à plonger.

Lancée à l’automne 2004 à titre de symbole de la renaissance de la Silicon Valley qui sortait à peine des décombres de l’éclatement de la bulle Internet en mars 2000, la série de conférences, sommets et expos coiffés de la marque Web 2.0 a été confrontée la semaine dernière, lors de la deuxième édition de sa version expo, au retour de la morosité dans les rangs des entrepreneurs web. De la même façon qu’on avait pris ses désirs pour des réalités en 2004 alors qu’on retrouvait en manchette du San Jose Mercury News, au dernier jour de la conférence, le bilan d’un million d’emplois perdus depuis 2000, on semble encore une fois anticiper les événements (chat échaudé craint l’eau froide) et on s’applique un régime frugal afin de passer à travers la récession et le resserrement conséquent du robinet du capital de risque.

Autres temps, autres mœurs. On comptait cette année sur les doigts d’une seule main les partys à bar ouvert parmi au moins 25 after hours offerts par le Who’s Who de la vallée. Un point commun avec les débuts, le party de Google demeure toujours un des plus rassembleurs. Les hors-d’œuvre sont hors du commun.

La crise actuelle n’a rien à voir cette fois avec l’exubérance interne de l’industrie Internet. Les nouveaux joueurs du Web 2.0, encore au stade de l’incubation pour la majorité d’entre eux, sont victimes de l’appauvrissement des investisseurs, tous affectés par la dévaluation de leurs actifs immobiliers. De fait, le capital de risque injecté au premier trimestre de cette année aux États-Unis, à la hauteur de 6,8 milliards $ dans 603 projets, accusait une baisse de 9 % par rapport au trimestre précédent et de 7 % par rapport à la même période l’an dernier.

Le climat ambiant explique pourquoi Tim O’Reilly, pape du Web 2.0 qu’il aura porté seul sur les fonts baptismaux avant de s’allier à Techweb pour la suite des choses et l’expansion qui s’ensuivit, s’est senti obligé de requinquer l’assistance, en ouverture de la conférence attenante à l’expo, pour l’exhorter à demeurer imperméable aux gros titres des journaux et à poursuivre sur sa lancée en s’attaquant aux problèmes les plus difficiles à résoudre, les seuls dont on sort grandi après s’y être frottés, que l’on ait réussi ou pas. O’Reilly, qui avait tout du preacher, a terminé son envolée lyrique par un poème de Rainer Maria Rilke afin de faire monter la ferveur de son auditoire, sinon sa foi.

Les propos de Marc Andreessen, cofondateur de Netscape et maintenant de Ning, ont jeté le matin suivant une douche froide sur cette ferveur quand il a dû expliquer un billet sur son blogue à propos du financement récent de 60 millions $ qui aiderait son entreprise à traverser l’«hiver nucléaire» qui se prépare. Il a bafouillé qu’il ignorait finalement ce qui pouvait arriver et qu’il préférait se prémunir contre le pire. Le reste de son intervention n’a guère été plus brillant en qualifiant l’achat éventuel de Yahoo par Microsoft de «bonne transaction» tout en déplorant la perte d’autonomie d’un pionnier du web.

Filant tout doux à l’égard de Microsoft (ce qui laisse perplexe de la part de quelqu’un qui s’est fait manger tout rond par Internet Explorer), il en est devenu mielleux inutilement devant une salle occupée aux deux tiers par des blogueurs professionnels des environs de San Francisco et de partout dans le monde, des nerds eux-mêmes ou des amateurs éclairés qui travaillent avec des nerds, tous des gens qui font tout leur possible pour se soustraire à l’hégémonie de Redmond avec Linux, Apache, Ajax et tutti quanti. Il s’est dit fier de la place prépondérante qu’occupent encore les fureteurs dans nos vies (soulignant l’ironie d’avoir jeté les bases d’Internet Explorer indirectement puisque cette application a été développée avec une licence de l’Université d’Illinois où il avait lui-même développé Mosaic, l’ancêtre de Netscape qui s’est métamorphosé depuis en Firefox). Toutes les versions de fureteur incorporent encore. a-t-il pris soin de préciser, une des fonctions importantes de Mosaic… le retour à la page précédente !!! Grand bien lui fasse.

Invité de son côté pour assumer la partie critique face aux dangers à peine esquissés par O’Reilly en ouverture, Jonathan Zittrain, professeur à l’Université Oxford et cofondateur du Berkman Center for Internet and Society de l’Université Harvard, a prié les participants de redoubler de vigilance malgré tout pour contrer la concentration du marché qui pourrait résulter du ralentissement. Il les a appelés à résister à la tendance des opérateurs de plate-forme à dicter leurs conditions aux utilisateurs comme aux développeurs d’applications. Dans son dernier livre au titre évocateur : The Future of Intenet and How to Stop it, il s’en prend aux appareils propriétaires comme le iPhone et la Xbox qui risquent de neutraliser les progrès accomplis grâce à la standardisation et au recours accru aux logiciels en code source ouvert.

L’humeur maussade de l’industrie contraste cependant avec le chemin parcouru en quatre ans. Bien que l’appellation Web 2.0 fasse toujours l’objet d’un flou entretenu par son inventeur lui-même, elle s’est imposée en référence au web à titre de plate-forme et l’a même emporté vue sous cet angle. Dévoilées au début de la conférence, les prévisions de Forrester Research, à l’effet que les investissements des entreprises en technologies Web 2.0 vont croître en moyenne de 43% annuellement au cours des cinq prochaines années pour atteindre 4,7 milliards $ en 2013, démontrent que les évangélistes de l’Entreprise 2.0 ont gagné leur point également.

L’hécatombe, si hécatombe il y a, aura beaucoup moins de conséquences qu’au début du millénaire. Commandant des fonds environ cinq fois moins élevés que les dot.com, les entrepreneurs du Web 2.0 s’accommodent assez bien de cette situation à cause de leurs frais d’opération nettement moindres. Ils recourent massivement aux outils de développement en code source ouvert, moins chers, et opèrent souvent en mode virtuel comme le fournisseur de l’éditeur de blogues WordPress. Leur seuil de rentabilité beaucoup moins élevé accroît ainsi leur marge de manoeuvre et leurs chances de passer à travers en beaucoup plus grand nombre que les dot.com. Leur rayonnement, viral par essence, s’obtient à coup d’efforts et d’itérations constantes de leur plate-forme et non par l’entremise d’un placement publicitaire coûteux pour attirer les yeux.

Le problème majeur guettant ces nouveaux joueurs vient de leur modèle d’affaires, la plupart du temps aussi mal cerné que celui de Facebook. Tous comptent sur la publicité comme principale source de revenus.

Faute de pouvoir faire appel à l’épargne publique avant un certain temps, les nouvelles entreprises ont aussi une autre porte de sortie en courant la chance d’être achetées par les joueurs établis. Comme on pouvait le constater sur le plancher de l’expo, les grandes entreprises ont rejoint désormais la parade en grand nombre. Microsoft, Intel, IBM et Adobe, entre autres, occupaient plus d’espace d’exposition que les nouveaux joueurs,

L’invité de marque le plus apprécié, Dan Lyons du magazine Forbes, a témoigné par sa propre expérience de l’avancée du Web 2.0 dans une industrie particulièrement malmenée par la prolifération des blogues sur tous les sujets. Après s’être vu refuser par son employeur la possibilité d’écrire son propre blogue dans le cadre de ses activités, il a opté pour un blogue personnel sous le pseudonyme de Fake Steve Jobs. Ses billets sarcastiques et iconoclastes l’ont fait remarquer de la blogosphère et de son employeur qui a voulu en connaître l’auteur. Avant de se dévoiler, Lyons s’est amusé à offrir ses services en exclusivité à Forbes.

En voulant résumer l’événement, le San Francisco Examiner a décrété qu’il avait été marqué par l’omniprésence des applications de téléphonie mobile et du nouveau paradigme introduit par le iPhone (plutôt révéré dans la vallée, n’en déplaise à Zittrain) dans le secteur. Computerworld a plutôt accordé sa couronne aux mashups, servis à toutes les sauces au bénéfice des entreprises.

Je suis d’avis pour ma part que l’événement aura été un tournant également pour la différence de traitement accordé à la presse établie et aux blogueurs. Ces derniers ont eu droit aux plus grands égards de la part du Conversation Group qui les a accueillis au salon Blogtropol.us. Comme l’a souligné le journaliste professionnel Richard Grant sur son blogue Entrepreneur Watch, ceux qui comme lui avaient le privilège de pouvoir fréquenter et le salon et la salle de presse adoptaient sans hésiter le premier. On y avait droit à des massages, des concours sur Twitter, de la bouffe de qualité, un réseau wi-fi performant, un centre vidéo pour enregistrer des entrevues, des tournois de quille sur Wii, etc.

Il était tout à fait normal qu’un tel virage soit pris en premier par une telle conférence. Il n’en aura pas moins une portée significative en démontrant aux autres organisateurs de conférences qu’il est payant de reconnaître l’influence des blogueurs dans son domaine.

À tous seigneurs tous honneurs, je leur réserve le mot de la fin en sélectionnant les meilleures trouvailles de quelques-uns d’entre eux. Pour des raisons d’espace et de temps, je me limite à leur appréciation des nouveaux joueurs du Web 2.0, réservant au marché le soin de discriminer qui d’IBM, Intel, Microsoft ou Adobe, parmi d’autres, méritera le soutien de la communauté Web 2.0 élargie avec ses nouveaux outils.

Ross Mayfield, président et cofondateur de Socialtext, a choisi Fireball, un réseau social pour téléphone mobile en version bêta qui permet de savoir où ses amis se trouvent en combinant par mashup les fonctionnalités de Twitter et de Fire Eagle, une plate-forme de géolocalisation également en bêta.

Richard Brandt a retenu Oosah, une plate-forme qui permet d’intégrer plusieurs sites (Flikr, YouTube, Picasa, Facebook, etc.) à un même tableau de bord en combinant par mashup les éléments utiles de chacun d’entre eux à la constitution de nouvelles pages d’info.

Rafe Needleman, éditeur du blogue webware.com de CNET, s’est arrêté à AirSet, une autre plate-forme en bêta qui vise rien de moins qu’à convaincre ses utilisateurs de se doter d’un PC virtuel en logeant toute leur documentation sur les serveurs d’AirSet. Plus besoin de portable. On peut faire ses démonstrations chez le client à partir de n’importe lequel de ses ordinateurs.

Anshu Agarwal, blogueur sur Web 2.0 Watch , a sélectionné Springnote, en fournisseur sud-coréen d’un carnet de notes en ligne qui permet de travailler ses brouillons et d’exécuter des mashup à partir de différentes sources avant de publier éventuellement le résultat en billet sur un blogue.

Brian Solis, principal associé de FurtureWorks et blogueur sur PR2.0, a été attiré par Zude, une autre plate-forme pour remixer des contenus variés que l’on peut extraire d’à peu près tous les sites web. Toujours en mode bêta, Zude est jugée par Solis plus évolutif, adaptable et agréable à utiliser que Ning en vue de créer son propre réseau social.

Jason Kincaid, collaborateur de TechCrunch, a été séduit pour sa part par Videophlow, un outil web d’Oortle qui permet d’accéder à plusieurs au même endroit pour échanger à propos d’un même document vidéo.

Marck Hendrikson, autre collaborateur de TechCrunch, accorde son attention à la version bêta de ZoomProspector qui ambitionne de jouer pour les entreprises un rôle semblable à celui de Zillow en immobilier résidentiel. À partir d’une base de données compilant les informations démographiques, les disponibilités de terrains ou de bâtisses et les différentes caractéristiques d’une localisation, ZoomProspector veut fournir les choix les plus judicieux aux entreprises à la recherche d’un endroit pour prendre de l’expansion ou couvrir un nouveau marché.

Finalement, le jeune Max, officiant sur Zedomax Dot Com, a scruté l’avenir quant à lui et constaté que les promoteurs de réseaux sociaux sont maintenant tournés vers le Web 3.0 et le Web sémantique en vue d’implanter des outils wiki conviviaux et utilisables par tout un chacun.

Invités par ailleurs à voter pour l’une des six sociétés en démarrage, sélectionnées parmi 160 candidatures, à avoir profité d’une présentation de prestige lors du launchpad, les participants à la conférence ont élu Triggit, un éditeur tout simple qui permet d’ajouter à un site ou un blogue, avec une seule ligne de JavaScript, les programmes de marketing par affiliation tels qu’AdSense de Google ou celui d’Amazon. Triggit peut aussi surveiller les programmes et gérer à distance leur fonctionnement sur les sites et les blogues affiliés, une particularité qui sera sûrement appréciée des blogueurs trop occupés pour surveiller eux-mêmes le monnayage de leurs écrits.

Comme on pourra s’en douter, il s’agit là de la pointe de l’iceberg de toute l’information produite à l’occasion de cette conférence. Les lecteurs désireux de plonger plus à fond peuvent toujours accéder aux vidéos des allocutions et entrevues principales de la conférence. On peut aussi accéder ici à quelques-unes des présentations faites lors des 160 sessions parallèles que comportait l’événement. Le site de la conférence permet également de télécharger d’autres présentations (je n’ai pas vérifié s’il s’agissait des mêmes) en format PowerPoint. Ce tour d’horizon, vous l’aurez compris, a été accompli en ne bougeant pas de chez-moi. J’ai seulement l’avantage d’avoir assisté au premier événement Web 2.0 en 2004 alors que le phénomène en était à ses premiers balbutiements.